Les Intimes de François Huglo par Carole Darricarrère

Les Parutions

15 oct.
2019

Les Intimes de François Huglo par Carole Darricarrère

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Vivier de chroniques témoignant d’un structurant instinct de lecture comme d’un lien patiemment élaboré avec les acteurs de la scène contemporaine, « Les Intimes » convient nez à nez l’improbable sous la forme d’une surprise-partie de lettrés un tantinet espiègle dans le cahier de devoirs d’un enfant sage se démultipliant à l’extension de la lecture : Hugo et Tintin, La Boétie et Christian Prigent, Jean-Christophe Averty et Philippe Jaffeux (et tous les autres) fondent ici aux côtés des Intemporels à valeur sûre (Valéry Baudelaire Rimbaud), sinon une bibliothèque idéale, du moins un socle fraternel d’écrivains à soi-même indispensables.

De parution en incitation et d’incitation en célébration ponctuées de portraits d’auteurs et conçues telles des études fondant elles-mêmes une galerie de portraits, cultivant la belle humeur en son jardin de Compostelle avec l’assiduité portée au plus haut point qui le caractérise, l’écrivain chroniqueur et lecteur averti François H, H comme Huglo, l’homme accordé à la lecture dans tous ses états, nous offre donc de lire le livre des livres, soit un florilège multivitaminé « pointu et pop » de morceaux choisis convoquant une communauté d’intimes témoignant de ses préférences, celles-ci allant du codex d’un Saint-Jérôme vouant comme lui un culte aux livres à la poésie électronique d’un Jacques Donguy, naviguant de la littérature à la bande dessinée et de là à la philosophie politique, non sans composer ce faisant sans le vouloir ni même le savoir, par quelque facétieux effet de feed-back, l’encreux en sous-main d’une sorte d’autoportrait au lecteur : dis-moi ce que tu lis et je te dirai qui tu es.

Cette compilation à vingt-six plages de lecture s’avérant être un projet fourni d’enquêtes tenues fidèlement sur la longueur, c’est ainsi que je le lis et que je l’imagine, honnête homme taiseux ambre et tabac, un foyer de pipe à la main un livre de l’autre, humant et humectant à l’aune d’un verre de terroir les auteurs en dégustations rapprochées, détectant et se délectant de l’audace d’un cru de couvée, voyageur immobile se renseignant à travers les siècles, dossier cuir coloris stable, fin connaisseur fidèle aux fondations autant qu’au texte, enclin à la biodiversité comme à la provocation la plus décapante : c’est ce que révèle ce pop-up de recensions ratissant deep and wide.

Il existe autant de styles de chronique qu’il y a de personnalités. Loin des tables à trois pieds volatiles des derviches tourneurs et autres équilibristes du courant d’air, loin aussi si loin des lectures en diagonale, la plume d’essayiste fouillée à haute définition de FH comble les lacunes et offre une géométrie fiable d’architextes d’une grande densité embrassant différentes déclinaisons de l’écriture et des échantillons du langage allant du solide au soluble et au gazeux, de l’action à la politique, du vénérable papyrus au feu crépitant de la performante prouesse mais compte ici peu de voix féminines exceptions faites de la photographe Carole Naggar et de la poétesse Sylvie Nève engagée dans la grande guerre érectile de l’oralité aux côtés d’illustres combattants.

Sauvant ces textes du zapping et de la noyade, François Huglo, qui se veut acteur de l’ombre tendu dans le retrait s’effaçant volontiers dans le service aux auteurs et dévoué à l’analyse, porte ici dans la lumière du monde l’art solitaire de la lecture et celui non moins discret de la contrainte à son plus haut degré d’exigence comme leçon de tolérance et preuve de souplesse d’un esprit ouvert aux caprices des temps.

Ricochant de résonance en résonance (à l’image de lui-même lisant Vinclair lisant Ch’Vavar tous trois lecteurs de Hugo) c’est d’une déclaration d’amour blanche sur fond de sacerdoce dont il est question ici autant que d’une façon d’aimer (lire et ‘écrire sur’ en étant une), s’emparant au ras du texte de la substance, non pas à la façon d’une balle traçante mais avec cette attention soutenue de compagnon du devoir accordé au bon miel de la chronique.

Ou comment ‘rester avec’, ancré dans le travail, depuis l’endroit de la lecture, dégainant des lingots compacts comme autant de propositions de partage faisant allégeance à l’autre dans les assises de la neutralité.

Bréviaire à facettes d’un encadreur, façon de signifier peut-être que l’art pauvre en puissance des mains couturières des belles lettres, élevé au rang d’un exercice de style, mérite bien à son tour un livre à part entière.

 

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