POésie C’EST… cReVeZ le matelas de mots ! de jean-PieRRe BOBillOT par François Huglo

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29 déc.
2022

POésie C’EST… cReVeZ le matelas de mots ! de jean-PieRRe BOBillOT par François Huglo

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POésie C’EST… cReVeZ le matelas de mots ! de jean-PieRRe BOBillOT

                                               in(dé)finition(s), etc.

 

            Ah, si le p’tit Marcel avait eu la radio ! Aurait-il attendu sa mère ? Plus tard, il aurait peut-être écrit : « Longtemps, je me suis défié de l’enfance (l’idée de l’enfance (…). La mienne (…), je l’avais refoulée de bonne heure ». Le p’tit Jean-Pierre lui ressemblait un peu : « j’aimais à me laisser bercer au brouhaha (…) des conversations sous la lampe (parents, voisins, belotes, blagues, conciliabules) ». À chacun ses Swann en visite, même chez un « petit prolo parigot ». Mais voici la différence : « ou (quand personne ne venait) (le brouhaha) de la radio (…) tel un œil familier et étrange dans la pénombre ». Sevrage : à la voix maternelle et à ses alentours se substituaient, « étrangement familières les voiX, d’autres voiX, sans noms et sans visages —sans bouches…—, que je pensais, de soir en soir, reconnaître ». Servage ? Douillet « matelas de mots » ou nid tressé, dirait Marcel, «, avec les choses les plus disparates » cimentées ensemble «  selon la technique des oiseaux » ? Peut-être, mais ne craignant pas plus les sirènes que le Desdichado  nervalien, l’enfant nage « en pleine "acousmatique" eXpérimentale !" ». Il naît de son oreille comme Paul sort de la sienne sur la pochette de Revolver dessinée par Klaus Voormann. Avant que Combray ne sorte de sa tasse de thé, le narrateur proustien répète, dans son décor minimal, « le théâtre et le drame de (son) coucher ». Chez Jean-Pierre Bobillot, cela devient : « le drame, plus ou moins douloureux, de l’adieu à l’in-fantia ».

 

            C’est là que vient s’inscrire le « désir-de-poésie », « fait anthropologique » infiniment plus ouvert que toute essence de la poésie : aussi loin de toute logophobe « nostalgie (…) de l’ineffable immédiateté au monde » que de toute logolâtre « volupté d’un ordre langagier que ne viendrait pas troubler le chaos du réel ». Ce sont d’autres mots qui crèveront le matelas de mots en établissant, comme l’écrit Paulhan cité en exergue, « que l’on a échappé aux mots ». Il y a du boulot ! De l’horrible travail : « Je, POète, est un autravail », a « failli dire Rimbaud ! ». Vital : « Je me voyais, bel et bien, périr étouffé (…) sous un matelas de mots, sur lequel j’aurais pourtant cru pouvoir me reposer (sur quels lauriers ?), des "fatigues de la vie" : tous ces discours sociaux, falsificateurs…, toute cette parlerie médiatique, aliénante, asphyXiante… mortelle ! ». Travail politique, en un « siècle de débats, de débâcles, de déballages / de fonctionnel saccage / des siècles / siècle outrageusement lustral : / ô, siècle du Mufle ! ». Un « siècle ! / toujours sur la Brèche, / & sur sa faim… », siècle « intarissable vagin des Peurs / envenimées, siècle séculairement / & si banalement siècle, quoi ! ». Où « ils n’ont pas l’air de croire à leur malheur / dans l’grand karaoQet d’la Globalisécheûne ! // & Q’est-c’Qe c’est Xe radio cRochet d’bouch’rie ? ». Où « ça crée des dieux, tous ces p’tits liens, hein : / faux commun, faulx commune ! / euh… y en a Qui rêvent ? ».

 

            Ce n’est pas en rêvant trop fort, comme dans la chanson de Bashung, que le poète crève l’oreiller de « l’idéologie communicationnelle commune ». Les « stances » qui ouvrent la séquence « cReVeZ le matelas de mots ! » (« 2ème édition reVuë & auguemantée », avec une traduction en anglais par Alan Green) sont l’anti- L’Union libre de Breton. Sous chaque vers, un Magritte pourrait inscrire : ceci n’est pas une image surréaliste. « POésie C’EST l’arrêt sur l’inimage », liRat-on plus loin, et « POésie C’EST ramage & plumage, / grammage, / grimage, / image, / inimage ». Quelques exemples : « Les saignées blanches des terrils. / Les pénéplaines hagardes / (…) / L’amour aux fesses de granit / La salive crépue de mon amour / Les odeurs mouillées / (…) / l’arbalète à lettres trace —à notre insu— le pointillé sans fin de nos plaisirs et de nos douleurs. / (…) / Les petites filles trouées d’aurore / Les mots qui nous restent pour crever ! ». Si « les atavismes crapuleux » et « les fictions poisseuses » nous rappellent ce dont il nous faut nous sevrer, le vers « Les insectes gratteurs du désir » décrit à merveille le collage de couverture, signé Sylvie Nève.

 

            De SLC, Pop club, Atelier de Création Radiophonique, en « désécrits discographiés de Camille Bryen », Bernard Heidsieck, Michèle Métail, François Dufrêne, « et bien d’autres », le désir s’est orienté, avec « bien souvent un plaisir partagé », vers « une poésie délibérément conçue et écrite en vue de la profération scénique ou de l’enregistrement bruitiste »,. Ce fut (et c’est) affaire de « lucidité médiopoétique », lasse de « lectures poétiques » desservant des auteurs « dont nous aimions à lire les écrits imprimés ». « POésie C’EST… » ( « 1re édition intégRaal »)   « se lit (…) avec une certaine excitation tressautante ou trépignante », mais des « effets typographiques s’adressent strictement à l’œil lisant, ils constituent la part inaliénable de l’écrit (fût-il "à dire" ou même "à crier & à danser"). Avec Bob, le PO de « POésie » est POP, mais aussi OP ! « des clous ! prosopopée-clopinettes, / clopinambouR & brosse-minette ! ». Et même hip-hop : « "j’haï-kuse !" / (…) / …SCRATCH… SCRATCH… SCRATCH… / (…) / "l’apparente samplicité du medium…" ». Sans oublier les syncopes du be-bop (« POésie C’EST (…) / le jazz ou la java ? »), ni Le Freak : «—Ciel ! riches, les rimes ! c’est chi!— ».

 

            Le « etc. » qui prolonge, verticalement et horizontalement, la chaîne paronomastique, le « shaker » qui mixe les «  moules-requins shadocks » de « la Grande Bleue », le cutter qui coupe, recoupe « les mots en Qatre », « l’herbe sous les pieds des phrases » et « l’Verbe sous les pieds d’la pensée », font proliférer « dans tous les sens » la liste des « in(dé)finition(s) » qui répondent à une « potentielle infinité de potentielles configurations médiopoétiques », du livre typographique (ici avec photos en noir et en couleurs) à la profération à voix nue ou scéniquement appareillée. « C’est cela que nous portons —dont nous portons, joyeusement et rageusement, l’Histoire et la responsabilité —lorsque nous concevons (« écrivons ») nos "teXtes", lorsque nous les mettons en voiX, en scène, en espace…, en pages, en lignes… "en ligne"… en zigzags » —« dans le Temps », dirait Marcel.

 

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