pRose des Rats de jean-pieRRe bobillot par François Huglo

Les Parutions

21 mars
2019

pRose des Rats de jean-pieRRe bobillot par François Huglo

  • Partager sur Facebook

 

 

            Laissons les critiques (en tant qu’ils jugent) répondre à la question « poème trop long… ou pas assez » ? La « 2eme édition revue et augmentée » du triptyque Prose des Rats / Poème trop long / Plaidoyer pour l’intellectuel calomnié en témoigne : il pouvait, il pourrait être continué (prose), coupé, recoupé (vers) de toute origine et de toute fin. Cent fois sur le métier une maille rongée (au milieu, forcément) emporte tout l’ouvrage (le milieu) vers « la lecture / aXion » (en avant, in progress), où Éric Blanco (4ede couverture) retrouve « l’actio, l’art de mettre en voix et en geste le texte ».

 

            Si le vers coupe, qui ronge ? En exergue, François Dufrêne répond : « la scissipare Syllabe en ribambelle ». Comment ? Retour à Éric Blanco : par rats-corps, rats-courcis, calembours, à-peu-près, fausses rimes, enjambements : « anaphores, homophones, mots-valises, etcété-rats », qui de maille en maille explorent « toutes les formes syllabaires du son [Ra] ». Le « poète bruyant » devient-il homme aux rats, ou l’homme aux rats (et, à travers le « cas de névrose obsessionnelle », l’inconscient) est-il poète ? Chez le patient de Freud, l’identification au rat qui mord et qui est persécuté, est rat-vivée par des signifiants proches de Ratte (rat), Rate (acompte), Heiraten (mariage). Le poète en homme aux rats les voit partout, les entend partout, « d’Gaza » à Fukushima, de Ratbelais à Tza Rat, des rats de la fable à ceux d’Orwell, rat-meutés par un phonème qui ne se loge pas dans le museau comme mus ou mouse, mais monte de la consonne caverneuse au grand jour de la voyelle grande ouverte : un éclat de trompette, éclat de voix, succède à un roulement de tambour. Rat : onomatopée ? Bruit de trotte-menu, de ronge-grain qui gratte ? Carla Bertola : « Rattaplan plan plan rattarattatà ! ». Démocratie, Agora, ça ira, Marat : pièges à rats.

 

            La « lectuRe / aXion » est, pour Éric Blanco, « une certaine manière d’intervenir dans l’espace public, qui est essentiellement discours oral ou écrit ». L’homme au rat (« entre les dents », précise Bobillot : l’homme au rat qui rit) est un rat pour l’homme (qui n’en est pas moins rat) : un animal politique, né d’une oreille et d’un poste rat-dio à l’époque des ratonnades et de la famille Duraton. À l’époque antérieure, celle du père d’Art Spiegelman lui-même père de Mausmauscheln signifiait : parler comme un Juif (Maus nommait à la fois la souris et Moïse). Ailleurs les souris ont été les Afro-Américains traqués par le Ku Klux Klan. Comme celui de Reiser, le rat de Scanreigh (autre Jean-Marc) qui passe la tête en couverture, et un peu plus ou un peu moins (parfois juste un œil) dans le texte, est fraternel. « Les Rats, c’est bien sûr l’Ennemi innombrable », déclare l’auteur « à la cantonnade ». Jean Cassou l’appelait « Légion ». Le peuple, à qui (ou qui par) ses commissaires et ses petits pères, désigne(nt) ses amis et ses ennemis. Qu’ils fassent masse (Maus) ou non, « les RATS, c’est chacun d’entre nous ». Bobillot, comme La Boétie ou Reich, relie l’individuel au collectif : « les RATS, c’est nous tous, c’est l’Humanité tout entière, éperdûment victime, pantelante et obscurément consentante ».

 

            Cette ambigüité « des Grands Soirs & des ptimatins » (Deleuze : « toutes les révolutions tournent mal ») fait le pont avec le Poème trop long : « C’est comm’ (…) l’Grand Soir sans les ptimatins », qui rime avec « les bonnes Poires sans les ptimalins ». La « lecture publique » peut varier « la vitesse d’exécution, le volume, le timbre etc. ». Reste à la (re)lecture privée, sur papier, l’arrêt sur formule, pour extrapolation : « C’est comm’le Boudoir sans l’Contrat » invite à conjuguer Rousseau avec Sade, comme plus loin le seront Higelin avec Trenet, Sollers avec Pleynet, Schwitters avec Hausmann, l’info avec l’intox, les vitrines avec les latrines, Dada avec Lénine (merci, Noguez !), Nina avec Timothina (merci, passim, Artaud Rimbur et Verheggen), « le rock » avec « l’punk », Pinget avec Ponge comme ping avec pong. La coupure Baudelaire / Rimbaud (majuscule / minuscule, idéalisme / matérialisme, « Liberté » / « liberté libre ») est lisible dans : « C’est comm’ le Spleen sans l’Idéal / comm’ l’idéal sans l’paletot ». Les rimes peuvent être embrassées ou croisées, les références permutées : « C’est comm’ Deleuze sans Tabarly/ ChristOPhe Colomb sans Guattari », ou « C’est comm’ Johnny sans Médrano / ou Robespierre sans Jean-Marc Thibault / (…) C’est comm’Roger Pierre sans Danton ». Mais « l’écrire sans l’dire » c’est comme « le dire sans l’faire », et la voix reprend le dessus pour marquer l’accent tonique, rapper, slamer, cogner par monosyllabes : fric, frac, flip, flap, be, bop, tric, trac, trip, trap, Big, Mac, sans que le son ne perde longtemps de vue le sens : pas de « Fric sans l’Krach ». Syncopes : une syllabe (la première) manque, Mont ou Mau, dans : « Rouge sans Reuil / Calm sans Brun / Beuge sans Pin / Rond sans Pellier / Fermeil sans Jouvin ». Mais l’écrit n’a pas dit son dernier mot : « c’est comm’ l’oral sans l’écrit ».

 

            Le Plaidoyer pour l’intellectuel calomnié (Jean-Luc Godard : « ce n’est pas un reproche. Au contraire, intellectuel c’est très beau ») est plus que jamais salubre, face aux procureurs du peuple, c’est-à-dire de personne, contre l’élite, c’est-à-dire tout le monde (qui n’excelle pas en au moinsun domaine ?). Loin de cultiver en chacun SON excellence, ils cultivent le ressentiment contre « c’fort en thèmes : / un peu louche / un peu louf », pas forcément bourge (la reproduction a des ratés). Donnons sa chance à l’égalité : « filons la métaphore au premier v’nu ». Même si le disque est rayé : « rentr’par une oreille & ça / r’pass par une oreille & ça » est répété 76 fois, en boucle, mais la 77ème, ça « t’reste entre les oneilles ». Quoi ? « les mots d’l’Ordre / …d’l’Ogre », ô « p’tit Pouc& d’mes deux ! » ? Sa course rêveuse égrenant des rimes nous ramène plutôt à Arthur et à l’essai de Jean-Pierre Bobillot Le meurtre d’Orphée. Opéra fabuleux ou Orphée rat ? « On est r’faits, / ô mon Eurydice ! ». Enfer ou paRAdis (« On ira tous au »), on se « r’trouve / toujours / au même envers : / IMPASSE KAFKA ». Faits, défaits, refaits : « ça finit toujours par / par passer / quelque part ». Et rat noir vecteur de peste ou rat blanc des labos, Jekyll ou Hydeça fait du raffut !

 


 

Retour à la liste des Parutions de sitaudis