bras vif d'Isabelle Garron (version intégrale) par Carole Darricarrère

Les Parutions

21 août
2019

bras vif d'Isabelle Garron (version intégrale) par Carole Darricarrère

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Lire l’ombre

profile la page de gauche sur la page de droite

Et tout ce blanc

non verbal de l’infini

réel à boire et à manger

repentir de l’ongle repoussant l’ancien

Relire à la lettre

la salinité liminale d’un point sur la langue

À la place de la langue

le nouveau monde d’un embarrassant profit ;

Trois « poèmes liminaires » vident le vif. « Liminaire vient du latin limen, liminis qui signifie seuil. Au-delà, il peut être utile de préciser que faire une déclaration liminaire revient souvent à « recadrer le débat » comme on dit aussi, c'est-à-dire à (im)poser le contexte de ce que l'on va dire avant de le dire… C'est donc un truc classique et efficace de rhétorique. Enfin, il n'est pas indifférent de constater que cette acception est arrivée au milieu du 16 e siècle, au moment où la pensée (la philosophie) a repris du poids face à la foi (la croyance)… » (source : lachal.neama.fr)

S’ensuit l’annonce de longs tâtonnements autour d’un anneau de craie. S’écoule un scratch sur la peau le plat d’une après-midi, ligne lucide d’une cicatrice claire. « La question c’est le réel », pas la poésie (sauf à se confondre, cela ne s’invente pas). La poésie subordonnée au réel l’est aussi à une ponctuation, le dérèglement prémédité de la ponctuation un encodage (un sous-système), la ponctuation étant dès lors une langue d’initiés à part entière. Cadrage par-dessus bord la tranche d’un filet de lumière épile le tour de la question dans une suspension de temps. La Bièvre coule à même le titre. Vif argent zébré du bel accent bizarre de sa griffe contemporaine. Excellence cherchant sa main négative le non-dit reste le bras de l’arôme au repos. Chaque livre serait la projection d’un désir, presque son infinir. Masturbation du vif se saisissant de l’éteint. Se souvenir (histoire d’une décompensation) l’astreinte éreinte l’étreinte (« le mot est politique »).

« Ce qui se passe n’est pas ce que vous pensez

qu’il se passe et n’est pas écrit

« n’est pourtant pas ce que vous pensez qu’il se passe »

Tout ça non plus vous n’êtes pas sans le savoir

Et c’est heureux. »

 

Lire à la craie ce parfum d’italiques qui enlise si bien le temps dans ses heures de gloire.

« Vous ne faites rien aujourd’hui

sans la musique de la craie

sans le souvenir précis de ce cercle

tracé au sol sur le plateau.

Vous ne connaissez pas le Caucase.

 

Ni lu la légende chinoise

Qui inspira Der Kreidekreis. »

 

(Je recopie peu ou prou version wikipédia). Le Cercle de craie caucasien est une pièce de théâtre de Bertolt Brecht écrite en 1945 à mi-chemin du jugement de Salomon et d’une pièce de théâtre chinoise de Li Qianfu. Dans l’épreuve du cercle de craie un enfant est placé dans un cercle, deux mères (la mère naturelle et la mère adoptante) doivent tirer l’enfant chacune de leur côté. La véritable mère est celle qui refusera de faire du mal à son enfant en l’écartelant au jeu de la couverture. (La question c’est le bien. Essayer comme jamais.)

Tout est prétexte. Un starter il en faut. Divagant de divagation en excavation, l’Histoire fournit la Littérature en flashbacks, de retour au basement de Brooklin éviter de jeter le bébé avec l’eau du bain. De confondre le bébé avec ses jouets. Un comble. Sous la parabole une métaphore, tantôt culinaire tantôt cosmétique la question très subjective de la poésie et du réel est à prendre avec des pincettes ou à laisser. Lisser de bas en haut à rebrousse-poil le risque de se faire mordre.

Au fastfood du vent les genres revendiquent une mixité, les racines libérales d’un nouveau monde ultracontemporain, non pas hermétique non, clap conceptuel branché subtilement décomplexé, feuilletage hybride non hiératique.

« Il faut bien comprendre.

Comprendre qu’une partie du poème qui s’écrira va ainsi. Allant il vient aux prises avec des images comme ça parties de là de « on ne sait où » de situations déterminantes au fond il y en a beaucoup. »

Ceci est vrai et se suffit à soi-même.

Méthode. Radicale. « Peut-être faire comme çà alors/chaque jour une ligne », (…) , « parce que dit comme ça/le lilas est une possibilité » . Application. Presque un tweet, lister l’eau-delà new age de l’au dans la nécessité de son audace, un défoulé fourcadien non refoulé, Dominique versus IG, posturologie d’un monde en marche (la question, c’est le mur).

« ( Le vent - 4 -)

 

« 2. 13 décembre

(…) fantastique accord de la parole et du non-dit. »

 

« 2. 27/12

(…) Que de mots, merde, qui s’engouffrent »

 

« 8. Vendredi 22 mars

(…) mince couche de glace / qui risque à chaque pas de se briser

(…) pour le courrier de ce soir c’est foutu »

Pour la poésie ce n’est jamais complètement fichu (autrement dit, il n’est jamais trop tard) ; a contrario de la marche forcée la biodiversité est intuitive ; elle balance tout naturellement des éclats de plein et de vide à l’aveuglette (ça marche, ou presque tient dans la nuance) ; «donc/car » franchit ouf la ligne de non retour ; de « l’ancien lit » « le bras vif » convalescent de lui-même, la question centrale reste la poésie au sens large, nouveauté oblige allégeance à une démocratie du diktat.

« Sous nos pieds elle coule

 

l’ancien lit me

souviens

c’est

 

plus haut comme

ce que vivre fait

de nouveau

 

 

 

par éclats à la

source et

en dé-

 

coudre »

 

Où s’arrête la poésie où finit-elle ? Que reste-t-il à écrire ? La question c’est, le nouveau monde est-il une valeur sûre ? La question de la solvabilité de la poésie au sens large, pas celle de l’euro, celle du sens.

Mi-août une possibilité de réponse. Sale temps du 17 au 18 inclus, propice à l’écriture comme à la lecture. Journal d’une chronique pour un livre nécessaire en tant qu’il ranime la flamme éminemment tactile de la très ancienne querelle du progrès, du monde et de la nation, de l’ancien et du moderne, du Nord et du Sud, de la posture et de l’imposture ; journal d’une occurrence, sans y toucher l’être du hasard me suggère en rappel sous la plume de Christiane Veschambres que « Certaines écritures, aussi libres qu’une langue neuve, avec leur pas traînant d’arrière-garde sont aussi audacieuses qu’une avant-garde : sans clairon, elles se détachent de la troupe, qui ne s’en aperçoit pas. »

Le réel se ramasse à la pelle

entre deux lamelles de récupération

l’actualité d’une puissance de lamination

s’infecte dans le dur métier de corroder

L’horreur du vide rempile contre la montre

demain les faits s’overdose s à l’audace d’un s le professeur hoquète

‘ent’

so cool this cute little thing

en mal de révolution une fleur à la main

la tentation régressive d’un émoticon analphabète

cherche une coquille compatissante

Venise noie hors champ le lyrisme dans le réel

( cette façon « poélitiquement irréprochable »

expression savoureuse d’un camarade poète

cette faconde import-export qui confine à l’idée fixe et consiste à déporter, reporter, repêcher laisse courte )

À Brooklin déjà, l’enfance buvait la tasse dans l’eau du bain

La poésie est un soleil noir,

adulte, aux prises avec les rets d’une extinction

Dans la maison ‘bleue comme une orange’

la « naine jaune » du nouveau monde

encagée en contamination

( l’étoile déjà morte )

décapitée au pic à glace

« Prescription » disait le bon sens

« ‘Une heure minimum par jour de marche au grand air’ »

( de l’r ce qu’il en reste )

contre une bibliothèque au grand complet

Où ramener ses mains

sinon à la terre

: to dig, loin en bas dessous les éoliennes, en brexit et non en dollars, encore plus bas s’il se peut

Reste le lyrisme en compassion de ferraille

bras aux vents le djihad écologique d’une barbarie

« Cette réalité existe »

elle ne fait pas de sentiments

où la poésie en rajoute malgré elle dans le panier

avec maîtrise en bas de contention

Ici « parler seul »

« seul enfin comme hélas »

est un instant magique en mode pause

« Bon, c’est Dieu ou pas Dieu ? »

l’écrire avec des yeux d’enfant dans la langue luxueuse du bourdon

Non-temps de la bascule

le poème enterre au laser sous un pied de verdure

son attirail de postures

« Le poème (qui était) un cours d’eau »

un « bras vif » de la Bièvre tout prêt à renaître

« sur une pièce de cuivre recouvert lorsqu’il devient nauséabond aux contemporains soucieux de leur territoire et cela en raison de l’activité des hommes sur chacune de ses rives »

« voie royale où affluent les égouts de la capitale »

Ailleurs s’entend que les migrations

noyautent l’atome du capital

Extinction faite du répit

noyauter noie selon la couleur de peau

l’acte souche de ressentir

Parfum réflexe, mais lequel

« L’heure bleue » ou bien le crépuscule

 

En miroir du dilemme de Salomon, la modernité invente la garde alternée (ne résout pas la question des pleurs).

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