GPS n° 11 Poésies Sourdes par François Huglo

Les Parutions

06 août
2020

GPS n° 11 Poésies Sourdes par François Huglo

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GPS n° 11 Poésies Sourdes

            La gazette poétique et sociale (GPS) a confié l’élaboration de son n° 11 à Brigitte Baumié lors de sa résidence aux éditions Plaine Page, dans le prolongement de ses travaux au sein de l’association Arts Résonances et du « Labo » (groupe de recherche sur la traduction poétique de et vers les langues de signes), et avec la participation d’auteur.e.s sourd.e.s, malentendant.e.s ou entendant.e.s. Entre théâtre, chorégraphie et performance en complément de photos, dessins et textes, vidéo et mise en ligne sur un site dédié (lien internet via un QR code) favorisent l’échange entre ces « mondes » qui, ce numéro en témoigne, deviennent l’un à l’autre moins étranges, plus familiers.

            La captation d’images a rendu possible la constitution d’un corpus de poésie en langue des signes, d’où le thème du numéro : « Les enjeux des traductions en LSF », reconnue comme langue de France après un siècle d’interdiction. Brigitte Baumié voit dans la création d’International Visual Theatre, à la fin des années 70, le point de départ d’ « un temps de très grande liberté de création pour les artistes sourds ». Par ailleurs, « l’utilisation du français écrit par les sourds signants a donné naissance à une forme de français particulière, "métissée" au potentiel poétique extrêmement fort. Une sorte d’écrit Sourd dont nous pouvons voir des exemples dans les poèmes de Djenebou Bathily et Mathilde Chabbey ».

            Par corps et par dessins, Levent Beskardès se fait « drapeau signant ». Il signe aussi, par dessins, « Procès-verbal » de Jean Tardieu, et les poèmes « Lumière », « Rouge » et « Amour 2 », qu’Aurore Corominas, Brigitte Baumié, Carlos Carreras, Guillaume Gigleux, Michel Thion et Igor Casas traduisent de la LSF.

            Pour Juliette Dalle, artiste sourde et médiatrice culturelle qui enseigne la littérature sourde / LS à l’université Jean Jaurès à Toulouse, « des éléments de culture sourde peuvent être intégrés dans des œuvres non-sourdes », via le mime, le théâtre, les films ou clips et les chants signes. Créé par le sourd humoriste et poète américain Bernard Braggs (1928-1918), qui a rencontré Marcel Marceau en 1956, le Visual Vernacular (VV) « connaît un certain effet de mode et donc de diffusion en Europe », où il est enseigné par le comédien italo-allemand sourd Giuseppe Giuranna, par Simon Attia et son jeune élève Erwan Cifra.

            La comédienne, poète et metteur en scène Chantal Liennel, et Marie-Thérèse L’Huillier, conteuse et enseignante auteure de « la première pièce théâtrale jouée complètement en silence en 1978 » (12 comédiens y symbolisent « la communauté des sourds repliée sur elle-même »), parlent d’un véritable « Réveil de la poésie en Langue des Signes ».

            Esquissant « une histoire de la littérature sourde française », Yann Cantin souligne le rôle joué au milieu du XIXe siècle par Pierre Pélissier et Jean-Baptiste le Chatelain, issus de l’école de l’abbé Chazottes, de Toulouse. Le récit en langue mimique, par Pélissier, de « la noble infortune de Charles VI » est conté avec enthousiasme par l’un de ses élèves. Aux alentours de 1900-1910, Louise Walser et Louise Gruizet Asser incarnent une poésie féministe sourde. Les Sourds-Muets des États-Unis disposent de signes plus nombreux, leur gesticulation est plus précipitée que le française où les signes sont rares, larges, chargés de sous-entendus et corollaires. Entre 1930 et 1980, la littérature sourde connaît un recul appelé en histoire le Déni Sourd. La renaissance commence avec Bernard Bragg dans l’Ohio, puis le Réveil Sourd en France. En 1988, le Deaf President Now permet l’organisation du Deaf Way, congrès mondial, à Gallaudet l’année suivante. La poésie française se détache progressivement du théâtre. Elle prend son envol après le Deaf Way II (2002) avec les représentations télévisées de L’Oeil et la Main, le festival Clin d’Oeil, et la démocratisation des nouvelles technologies de communication.

            Un souvenir d’enfance donne à Claude Ber face à la chorégraphie de poètes sourds signant leurs textes « le sentiment étrange d’être en compagnie familière ». Claudie Lenzi témoigne de son expérience d’ « otorigène », terme qu’elle a forgé à partir de oto (oreille), ri (rire), gène (atavisme) et gêne (inconfort). Otorigènes célèbres (souffrant, comme elle, d’une « perte auditive ») : Ronsard, du Bellay, Goya, Beethoven, Djian, Combas, Baumié, Blaine… Conclusion de Claudie Lenzi : « S’il y a défaut sur la langue alors le réel bonjour ! C’est que du bricolage. Mais si la poésie d’aujourd’hui cherche le défaut du corps dans la langue à défaut d’une belle langue dans un beau corps tu es en plein dedans ! ».

            Patrick Dubost : « écrire c’est parler avec les doigts » et « assumer le corps », dans « une langue chorégraphiée ». Mathilde Chabbey témoigne des réactions de frayeur quand elle annonce avec son corps « je n’entends pas ». Fabrice Caravaca : « Une langue est toujours un corps dans un espace. Une langue est toujours un espace dans un corps ». Un entretien entre Levent Beskardès et Laurent Grisel plaide « pour que les littératures en Langue des Signes existent comme toutes les autres ». Antonio Rodriguez Yuste et Carlos Carrera présentent le Collectif 2 poings, qui a émergé en juillet 2012 lord du Festival des Voix Vives de la Méditerranée à Sète, et rassemble peintures, langue des signes et poésie, dans un esprit proche de celui de CoBrA entre 1948 et 1951. Le « frottement » entre la poésie sonore de Pierre Guéry et sa traduction simultanée par Marie Lamothe, en juillet 2011, à Sète, où elle capte l’attention du public sourd et entendant, lui inspire « l’histoire de la muette ». Pauline Catherinat : « phrase dansée ». Elio Possoz : « mains dansantes éphémères calligraphes » qui dynamitent les langues « en un grand silence expressif ». Éric Blanco décrit le « VibroMessage », outil de communication Visuel Vibro-Tactile entre sourds et entendants.

            Julien Blaine revient sur « un accident mortel subi et subit » et sur le « nouveau concert joué dans le cercueil à IRM muni de son livret improvisé : ¾ d’heure de musique contemporaine magnifique entre Philip Glass et John Cage remboursée par la sécurité sociale ! ». Patrick Sirot : « J’entends mon cœur qui bat, qui tambourine, je rentre en moi, les oreilles se retournent, les yeux, le nez aussi, je suis dedans, dans la circulation de mes artères, dans l’air en mes poumons et les mouvements de mon estomac. Je n’entends que des bouts de chimères qui se plissent ». Mélanie Joseph propose un « Haïku d’un Cut-Up d’un Cut-Up préexistant dans La Machine Molle de William Burroughs ». Marion Blondel et Laurent Grisel retracent l’aventure du Laboratoire Poétique initié par Arts Résonances dès 2013.

            Pour Marie Lamothe, « le traducteur est un artiste jongleur, équilibriste, entre deux perceptions ». Deleuze et Guattari l’affirmaient dans Mille Plateaux : « Le langage est fait pour cela, pour la traduction, non pour la communication ».

 

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