Le sourire de Mona Dialysa de Jean-Pierre Verheggen par François Huglo

Les Parutions

24 mai
2023

Le sourire de Mona Dialysa de Jean-Pierre Verheggen par François Huglo

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Le sourire de Mona Dialysa de Jean-Pierre Verheggen

 

 

            « Ah ! On sourit moins cette fois ! ». Insuffisance rénale sévère, « déficit grave, au stade terminal », imposant « de la dialyse ». Le diagnostic du « néphrologue de service » a de quoi mettre K.O. Ou plonger dans le trampoline. Car le grand rire de Jean-Pierre Verheggen rebondit sur le « sourire de douceur et de bienveillante compassion » de l’ « infirmière préférée », qui rappelle « celui de Mona Lisa ». Désormais, il « Goconde » sur sa « Dialysa ». Il décolle, et nous avec lui, d’un coup de pied qui touche le fond. Il retrouve Une philosophie à coups de reins de Marcel Moreau, dont les premières lignes pourraient être de lui : « Mon rythme et moi, nous avons une relation aussi antique qu’un instinct de mort, aussi inaugurale qu’un amour à son aurore (…) Ce soulèvement qui fait de moi un possédé de la langue avant même que j’en sois l’usager ». Il constate : « Mieux vaut un coup de jeune quand on est vieux qu’un coup de vieux quand on est jeune ». Propulsé, le « septuadégénère » devenu « toctocgénère » qui tryphonne du cornet, subit l’ « électro-schnock » d’un « âge gras » poussant « l’âge ingrat » dans l’ « autrefois », risque d’obtenir le « prix Nobèse » au lieu du « Nobelge » espéré, et cite « l’ami japonais Arthur Sumo : Je est une outre ! », se met à danser comme une « baleinerine ».

 

            Le rythme du livre lui est imprimé par des intertitres qui rappellent les « cartons » des films muets ou les récitatifs de la B.D., espaces périphériques par rapport à la vignette mais aussi éléments textuels. Exemples : « Géronte, dites-vous ? » — « C’est triste mais Tintin et moi, c’est fini ! On a dû divorcer ! » — « On se goinfre de bonbons ! » — « Ajoutez à ces derniers ceux que Jacques Bonnaffé en son théâtre appelle les "mots-tu-vu" et autres casse-bonbons professionnels » — « Cela dit, on se calme, on fait pour le mieux avec nos journées casanières et mollement pantouflardes ! On vivote entre présent, médocs et souvenirs d’enfance ! » — « Cela encaissé (façon de parler) pour tuer le temps (autre façon de parler) on se livre à l’une de nos passions favorites : la traduction très approximative et le plus souvent coquine (façon, à notre tour, de sourire) des expressions et citations latines étudiées au collège (autre façon d’évoquer mes années heureuses !) ».

 

            Car coups de vieux et coups de jeune trinquent. La « nostalgie de l’enfance où tout était permis » la retrouve. Une « dévorante passion suceuse » éternise la réminiscence. À Renaud « mistral gagnant » et « vrais roudoudous », à Verheggen « les boules de coco et autres friandises d’époque », dont le « cul de bourdon » ou « cuberdon » aussi appelé « chapeau de curé », qui permet de « bouffer » des « petits vicaires cucul la praline // Ah ! Y a bon bonbon ! Y a bon rester gaga ! ». Les rimbaldiennes « remembrances du vieillard idiot » rejoignent « les poètes de sept ans », dont les seuls « familiers » conversent « avec la douceur des idiots ». Et Verheggen rejoint les « poèmes cons » de Jean L’Anselme (décriés par maint poète persuadé de ne pas en être un autre) quand il écrit : « N’ayons plus rien à perdre, continuons gaiement, osons la poésie bête ! ». Haddock lui-même, à l’hospice Hergé, « plus gaga neuneu que jamais, est dans le cirage et sourit dans le vide comme s’il acquiesçait ! ». Bianca, pour lui rafraîchir la mémoire, lui offre une marinière Petit Bateau, marque dont elle est une inconditionnelle « pour sa stricte intimité ». Quant à Tintin, ce « pré-pubère inabouti », il « reste planté, des heures durant devant ses posters favoris » : Rintintin et Rusty, Totor (chef de la patrouille des Hannetons), Tatayoyo, Tartarin, Tonton Mitterrand… Grand tintinophile, Clément Rosset n’a-t-il pas écrit Le Réel. Traité de l’idiotie ?

 

            Jean-Pierre Verheggen défend contre « les hyper-speedés » et tous les Lustucru du lucratif à la fois le droit à la vieillesse, le droit à l’enfance, le droit de « nos animaux de compagnie que d’aucuns spéculateurs exploitent » (pour vendre une « ragougnasse », on la baptise « poésie pour chats » !), et le droit à la paresse, tous essentiellement et existentiellement humains. Henri Michaux se déclarait « né fatigué ». On connaissait Verheggen en Haddock, le voilà en Gaston, ce grand Duduche belge : une « maladresse légendaire », paravent d’une « profonde paresse », dont se moque le « parterre des surdoués » ( ce qui « (l)’arrange »), et il le leur rend bien. Et une inventivité à la mesure du temps ainsi libéré.

 

            Lagaffe devient Legaffiot, à la fois fort en thème et cancre, dans ce que Pierre Le Pillouër a pu appeler des « craductions », cette fois avec références aux sources. Ainsi « Nihil ex nihilo Ni au Hilton, ni sur cette île, cette année on ne part pas », est tiré de « Juvénal,  Les vacances de monsieur Nullot ». « Qualis artifex pereo Ah ! quel beau paréo, on voit ses fesses et son petit zéro », de « Térence, Vie de Plastic Bertrand ». « Hodie mihi, cras tibi À moi Odile, à toi l’autre salope », de « Martial, De l’échangisme à toge et à vapeur ». 

 

            Un bal des masques, ceux dont le temps nous affuble, n’est plus donné à l’hôtel de Guermantes, comme chez Proust, mais à Moulinsart. Haddock souffre « de la maladie d’Alzhei-mer ». Rassurons-nous : Verheggen se souvient des noms de tous ses rafiots. Nestor « vit désormais en concubinage avec la fille Sanzot, de trente ans sa cadette », divorcée « du fils d’Isidore Boullu, le marbrier ». Bianca « et quelques autres victimes » de « railleries mammaires trop faciles », ont créé « l’association "Seinsein et #Metoo" ». Les Dupondt ont perdu « un procès à l’image et aux droits d’auteur contre un certain Magritte ». Les champignons de L’étoile mystérieuse et Les cigares du pharaon sont recyclés et fusionnent dans une supplique à la Brassens, entonnée par un Verheggen « mycologue (amateur certes mais assez éclairé) » pour être enterré non sur la plage de Sète mais au pied de chênes truffiers du Périgord, ou à la grande rigueur, après une « somptueuse croisière sur le Nihil, si le dieu Obstat ne s’y oppose pas », en « Enfer 5 étoiles », en compagnie de Néfertiti qui lui accordera « une passe expresse à même le lit du fleuve ! ».

 

            En 1928-1929, Francis Ponge ne pouvait citer Jean-Pierre Verheggen parmi les « raisons de vivre heureux ». Plus tard, à son avantage, Christian Prigent l’a pu. Nous le pouvons. Et même « au vent mauvais », comme disait Verlaine allumant « un petit brasero pour dégivrer "sa turne" », « je m’en vêts ».

 

 

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