Ma petite poésie ne connaît pas la crise de Jean-Pierre Verheggen par François Huglo

Les Parutions

13 mai
2017

Ma petite poésie ne connaît pas la crise de Jean-Pierre Verheggen par François Huglo

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Arrière, parasites du ressentiment ! Voici l’anar d’être grand-père, l’antidote aux passions tristes ! Pas du genre, pour autant, à inscrire sa silhouette dans une pyramide : «" Napoléon, mon cul !" comme s’exclamait / la Zazie à Queneau qui préciserait : "Il ne m’intéresse / pas du tout, cet enflé, avec son chapeau à la con" ». Garnement plutôt, le « vieux poète anarcho-potache » qui, de la soupe aux choux, « fait surgir dans nos mémoires militantes / l’imbuvable dictateur maoïste Chou-En-Lai ! », ou frémit quand on lui sert « la soupe aux tomates / de Hollande certifiées (haut et fort) P.S. / (peu de soleil, tant elles ont la rougeur / palote des serres où elles ont poussé ». Gaga peut-être : Gargantua-Gavroche, il tient de la commère qui, « comme à son habitude (exubérante, bavarde et faite de potins », ferait son marché dans les rayons farces et attrapes des galeries Jarry, Choron, Siné ou Topor, pour mitonner et servir chaud des « cuisses de grenouilles de bénitier » (là, c’est un tableau à la Clovis Trouille !), du « merlan en papillote », un « pédaleur dans la choucroute », et nous régale des seuls titres de ses recettes : « l’académicien en rosette », « la bécasse marquée bécasse au front », « le loup façon mère grand », « la contractuelle à l’aubergine », « le chapon Banania », « l’enfant de chœur au vin de messe », « l’époisse marquée pas de chance », « le lapin à la prestidigitation aux deux chapeaux », « l’avocat aux marrons » ou « le petit vicaire à l’étouffe-chrétien ».

La langue du garnement est, en effet, celle de sa maternelle, la wallone Simone, « entre insolence, / exubérance, médisance, mais aussi jouissance ! », et « des bobones d’antan et commères cancanières » qui lui ressemblent. « En voiture donc Simone, c’est moi qui conduis (…) / mais c’est toi qui klaxonnes et énumères / l’identité des personnes que nous croisons ! ». Dont, croquée au passage en deux vers, « la Boutiqueresse Sucette qui pèserait son âme / pour trois grammes de sel et deux pièces de caramel ! ». Langue-matière à jamais nouvelle ! « Repas, repos, répit, repu ! Ah ! La langue / est démentielle et ses cousinages par voyelles / contiguës tout à fait inattendus mais combien / providentiels pour titiller l’imagination du poète ! ». Grâce à lui, grâce à « l’occase-croûte » de ce « véritable rapace », le repos éternel qui l’attend et nous attend tous s’éveille repas éternel, à bord d’un « Arche de Nommé » où embarquent « l’éléphant d’pute », « la taupeless », « l’otarie à gorge déployée », « le chien n’ai rien à foutre », « le puceron comme une pelle » et « le campagnol Marcel ». Si Max Jacob croyait en un paradis des images, Verheggen goûte et sert un paradis lexical, où « le crabe pagurus » s’affiche « sous le nom de tourteau, / poupard, point clos ou gourballe, peu importe, c’est sa fraîcheur qui prévaut ! ». Avec Pétoche, « une copine normande » et « beckettienne », il se régale du « cacrabe » (« le caca de crabe ! »). La « Gastronomania » de ce « Gros (…) comme on dit le gros lot » affectionne aussi la pinte de l’Homo Sapinte, « de l’abbé Bière à Éméché Guevara », qu’il déguste en compagnie de ses héros de B.D., « Cuite et Flûte d’Hergé » ou « Adèle Cul Sec (chère à Tardi) ». Jamais Mickey « sans sa mousse » ! Et les « repas ouvriers » (boudin-compote, chicons-jambon blanc, œufs mayo et harengs pommes à l’huile), les « choezels » bruxellois mais ignorés de Brel : pancréas de bœuf et « autres bons abats », mouillés de « trois à cinq bons décilitres de geueuze Lambic ».

À langue nourricière, poésie « invincible » (c’est inadmissible !), comme « l’humour / toujours vainqueur quand tous deux, ensemble, / ils tiennent compte des circonstances et de l’époque / pour répondre, tantôt à l’intox médiatique / tantôt à la provoc de certains pouvoirs patronaux / ou publics », de préférence « dans la nuance », comme Nougé, Vaneigem ou Michaux. La poésie est pourtant « petite ! toute petiote ! ». Le grand-père qui l’offre à ses trois petits-fils la défend « contre ceux qui la dénigrent ou la caricaturent, à l’oral comme à l’écrit ». Contre « le raccourci mollasse / le parler flagada ». Contre « le sociolecte-roi (roi fainéant s’entend ». Contre les « lyriques geignards, pseudo-marginaux 100% académiques », les « speedés textuels secoués de spasmes déclamatoires », les « inspirés s’affichant ouvertement inspirés ». Il la préfère protestataire, avec « du riff huileux de sax virulent » et « du rock (très rauque et de garage) », partant en guerre contre la guerre et chantant une bonne vieille paillarde aux « petits curés djihadistes » : « Allah ! Allah salope, tu iras y laver ton cul et ton cerveau malpropres ! ». Guerre à ceux que Pierre Chabert appelait les « sales bêtes » ! À « la diarrhée verbo-notariale ! ». Et au kamikaze tapi dans les poumons, ce « Thanatousse », ce « Zarathoustro —beaucoup trop ! ».

« On gamine comme de très anciens gamins », familiers de la rimbaldienne familiarité entre « poètes de sept ans » et « remembrances du vieillard idiot ». On a beau faire, avec le peintre Philippe Favier, « un "abracadabras" d’honneur à la mort, et exiger « des asticots de Soissons (…) les seuls à pouvoir vous faire péter la sous-ventrière », on est exubérant à en devenir exaspérant, on « mascaronne du faciès », on « picaresque du / Poussah », on « (s’)adipose », on « (s’)engidouille », on « polyglotte de traviole et radote », on « perd tous ses repères ». Obésitude, répétitude, pipitude, déprimitude, oublitude, oursitude : « tout en "tude" vers la finitude, quoi ! ». Mais elle-même n’échappe pas à « la "forgerie" verbale de Vulcain : sinistre funérarium ? / Arrivarium ? Où l’on arrive "avarié" à jamais ? / Ce n’est guère plus réjouissant ! Pourquoi pas hasbeen : / hasbeenarium ? Ou achèvarium ? De quoi un peu rigoler ». Invincible, il nous dit ! Et il nous le chante : « Tout va très bien madame la Marcrise ! ». Invincible, tant qu’on le lit.

 

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