Phil@leph de Jean-Luc Lavrille par François Huglo

Les Parutions

09 déc.
2021

Phil@leph de Jean-Luc Lavrille par François Huglo

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Phil@leph de Jean-Luc Lavrille

 

 

            Dans l’arobase, l’important c’est la vrille. Est-ce le poète qui porte bien son nom, ou son nom qui le porte bien ? « Toute écriture est l’histoire d’un nom », écrivait dans C’est du propre Jacques Barbaut citant Philippe Bonnefis et Alain Buisine. Oublions un instant vignes et tire-bouchon pour élargir la spirale : « laissant affleurer à travers le prisme d’une multitude d’approches, de rapports inattendus, voire incongrus, qui déroutent et stimulent en une spirale sans fin le hiatus, la déchirure, un espace vide, lacunaire, impossible à combler, le néant, le schwa hébraïque ». Schwa ? Chva ? « Voyelle neutre, ni ouverte ni fermée, ni antérieure ni postérieure, ni rétractée ni arrondie ; en français, le e muet […] ».

 

            Que vrille la vrille ? Son schwa de Troie. Qui vrille ? Le facteur Schwa : « vrilles pointées peccadilles pacotilles / picotant de leurs trilles ces tristes drilles ». Aérienne et périlleuse pirouette d’ « esperluette » au bal des vents pires : « et des flots ce bal qu’empirent / double axel double vrille / vent du ballet slash arrière / pimpant salto ». Comme la balle dans le barillet, « le fruit est dans le vers », mûr pour les vendanges : « mot des vrilles / entraillées / qu’on vend d’anges aux bêtes et leur nez lent / à sentir sévère ». Mais « qui veut faire l’ange fait l’abbé : la bêtise est triste, suit la pulsion de mort qui ne prend pas de risque car elle se répète et emmène tous les voyageurs ».

 

            Sauve qui peut ! Les phonèmes « se font la malle / avec les mots valise ». Chaque mot porte la sienne. Chaque lettre, même. A est « l’archange », danseur « à contrepied (…) d’avril au nez luisant et poli », qui fait « moisson des fruits de mer / des vers qui les mangent / alors l’A / rechange ». Le poisson d’avril accroche Mirabeau à la mitre papale : « habeas corpus sous le pont sous le pontificat magnificat le pape une mire a beau poisson d’avril (…) Athée ? Souhait ! ».

 

            Avril est sacre du printemps à cornes, à vrilles. Sa spirale, « c’est le vert qui de la terre aux cieux / sert d’essieu ».  Ressort cher aux baroques, vibratile pulsion de vie, résistance du vouloir vivre : « ayant souffert de l’apprentissage de la langue nationale par son introjection de règles visant à me déloger des mondes qui les précédaient et forçant à vénérer le refoulé et la censure ». Famille, école, religion, armée… Contre ces tuteurs « au plus ras de la casquette », Lavrille écrit « non contre le temps mais avant », ni pour ni sur ni par l’automne. Son écriture « ne passe pas par cette saison et ne peut l’encenser ; elle irait plutôt vers le renouveau le printemps voire son excès l’été, vibrant du chant des moqueurs polyglottes ». Glissons ici Giulo Caccini cité par Jean-Claude Pinson à propos de Liliane Giraudon : la polyphonie « lacère la poésie ».  Elle (l’arachnoïde écriture) ou il (avril porteur d’arc en ciel) propose « un suspense une suspension », comme « dans un intervalle qui étire la phrase musicale et la coupe ». Arc d’Eros, qui « vrille de sa conque une crête / et tire de cette coque coquette / une aile secrète rose et violette » : un bourgeon. Eros c’est la vie, Rrose Sélavy, et « Rose c’est la vrille / Verset la vrille / Jaune scelle la vrille / Roue je sais la vrille ».

 

La poésie est « langue vivante et vivace », qui « joue avec elle-même pour elle-même le son lançant un défi au sens qu’elle diffère, retarde ou anticipe. Elle a donc du jeu, (…) troublant la communication directe d’un message », par la petite ou grande musique du plaisir, « gage d’une langue vivante » et « d’un sujet vivant ». En résistant « à la langue commune marchande », elle « rappelle à chaque lecteur son investissement libidinal à la langue commune dite maternelle et à sa propre langue maternelle mimée dans l’enfance ». Le jeu, le suspens, la « pause » dans la « linéarité temporelle » et « ponctuation de la joie », est aussi emblème d’hospitalité : « la langue accueillant la poésie passagère clandestine et stupéfiante ». La littérature est « foncièrement politique », au « sens étymologique du terme (vie dans la cité donc sa langue) ». Pas la « frater niqué », qui oublie de poser la question « Quel lien social ? maître ou esclave ? ». Une « écho-nomie » plutôt : « potentiel du nom ». La référence à Jean-Joseph Goux est implicite dans la « sculpture du matériau sonore » comme « sa valeur d’usage désenfouie, son retour, sa revanche sur le monopole de la valeur d’échange du langage ».

 

L’ « en je » ne met pas Hergé hors jeu. « On a marché sur la langue c’est le pied // Ça tintinabule de la lettre dans l’étau à lettres : objectif langue // les bijoux de la langue / l’étoile mystérieuse de la langue / l’oreille cassée de la langue / vol 714 pour la langue ». Hergé ou Fred ? Naufragé du @ ou cig@res du ph@r@on ? Phil@leph ou les aventures d’un Philémon pas si clone, vraiment cyclone !

 

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