VHERBIER de Frédérique Guétat-Liviani et Christian Désagulier par François Huglo

Les Parutions

08 janv.
2022

VHERBIER de Frédérique Guétat-Liviani et Christian Désagulier par François Huglo

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VHERBIER de Frédérique Guétat-Liviani et Christian Désagulier

 

              Herbe ou verbe ? Qui a commencé ? Jean l’évangéliste répond « le verbe », mais  son prologue nous lance sur la piste de la photosynthèse, de cette « lumière » dont le végétal a été le « témoin » bien avant lui. Christian Désagulier : « Toutes les plantes répondent à l’appel de la lumière. Toutes à la lumière exposent leur vie, convertissent en matière végétale le jour, le gaz que nous expirons la nuit en nous restituant celui que nous inspirons, nous maintiennent stricto sensu en vie ». C’est pourquoi « De l’herbe il y en a partout sur Terre depuis le début et il y en a partout jusqu’à la fin. / Il suffit d’un rai de soleil, deux pincées de sable et trois gouttes d’eau ». Début ? Fin ? « La vie est vert, qui ne débute ni ne s’achève, persévère. / Vherbe-les jusqu’à la fin ».  Frédérique Guétat-Liviani tresse à des tiges et à des graines, comme aimait à le faire Cécile Miguel, sa calligraphie des mots « j’en veux plus ». Christian Désagulier reprend : « Arbres et herbacées aimés, jamais assez ».

 

            Frédérique (« Planches ») dessine avec des plantes, joint ses arabesques et sa palette (ses gestes et sa parole) aux leurs, en un discret contrechant, une empathique émulation. Christian (« Observations ») herborise avec des mots, arrache et déploie leurs racines grecques, latines, arabes, amhariques, les lisse du bout des doigts jusqu’aux plus fines radicelles, offre leur luxe lexical. Le Gaffiot, le Bailly, ou d’autres, l’inspirent comme Littré inspirait Ponge, icones en plus. Mais ce ne peut être un Pour un Malherbe car « il n’y a pas de mauvaises herbes ». Contre le « grand Virgile » et « l’intransigeant cultivateur », il défend les « admirables adventices ». Pour un herbier rêveur comme « notre Jean-Jacques » ? L’Arum « en tant que vivant et cyclique reliquaire », ce qui « s’appelle tout simplement l’éternité », y rencontre « l’immortel rossignol » de Keats, « qui n’est pas né pour mourir » (Ode to a Nightingal, « Thou wast not born for death, immortal Bird »). Les souvenirs d’Afrique (« l’injera, l’épaisse crêpe grise, spongieuse et délicieusement acide », la Fonio « dont je me régale chez les Peuls »), de Kyoto (des origamis « dont j’ai coudé magiquement les feuilles d’herbe craquantes », c’est aussi ce que fait Frédérique), d’Amérique du Nord (la Sauge est « la sage-brush des Indiens Pueblos dont j’ai fait la cueillette d’un sachet aux plaines alcalines du Nouveau Mexique ») se mêlent aux surgeons d’enfance (« Quand je suis petit, j’épluche et puis je mâche des grains de blé vert », chewing-gum « exemplaire »).  

 

            Car les plantes voyagent. Même si Lierre vient du latin haerere, « être attaché », il « me suit depuis les tropiques où je caprique de monts en vaux, jusqu’en ce jardin guinéen de Normondie ». Divine ubiquité ! « Diviser le divers en multipliant l’unité tel est le dessein de la divinité ». Et les plantes pensent. L’ « obstination à grandir » des graminées « exprime une façon de pensée, ni moins ni plus que tous ses congénères végétaux en dépit des apparences, tous et tout sauf végétatifs ». À cette obstination répond la persévérance des bêtes : « comme je vous sais gré de n’avoir pas conscience de ma gratitude et de bien vouloir persévérer telles que vous êtes et voudrais vous ressembler, au monde bées ». Les bovidés lisent : « "ruminer" et "ruminer" ne sont pas des synonymes, selon que l’on est un animal ou un hominidé, nous enseigne le grand Sénèque. Je prétends que les bovidés lisent (lectio) en broutant, que la mastication leur est méditation (meditatio), prière (oratio), la saveur de feuille d’herbe qui leur délivre cette quiétude contemplative (contemplatio) comme de tradition médiévale on conçoit la lecture ». Si la philosophie est « un jeu de langage » depuis Wittgenstein, de même que le poème selon Palamède qui aurait inventé « l’alphabet grec, le jeu de l’oie et les dés », Ulysse répond à ce dernier « que la forme des signes de l’alphabet lui est dictée par l’observation du vol des oies, de sorte que celles-ci en sont les véritables inventeresses. Ce n’est pas faux ».

 

            Mais si la vache plane sous l’effet du LSD produit par la Zizanie et  l’ergot de seigle, « la Vache qui rit, le fromage en boîte édulcoré dont raffole notre progéniture », n’est que le masque de la « Vache qui pleure des jours et des nuits après (son) petit entraperçu », tandis que les taurillons sont « masturbés aux poupées pour le sperme si pas châtrés pour la chair », et que les cornes sectionnées font « meugler de stupeur, de confiance trahie ». Non, « ces bêtes qui nous en remontrent » n’ont « pas la mémoire rancunière ». Simplement, « elles vivent ailleurs où nous ne sommes plus ». Et où nous ramènent, peut-être, quelques recettes : « de Plantin lancéolé que tu fatigues à l’huile de noix et au vinaigre des quatre voleurs », de « gelée du fruit de la ronce mûres » où « tu incorpores quelques pincées de pétales d’églantier », de feuilles d’orties « en soupe ou en salade » après que « dans l’eau froide elles ont rendu leurs armes de pointe en poils de silice amorphe ». Quelques remèdes aussi, pour nous-mêmes et pour les plantes : purin d’orties, encore elles, connues « avant que pesticides et engrais ne copient la nature de travers », massacrant vers de terre et abeilles en une « guerre à la terre qui n’en a presque plus le nom ». La cueillette et l’étymologie du botaniste en deux personnes poétiques, Frédérique et Christian, font le vherbier qui veille au chevet de l’herbier.

 

 

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