Mi di minm d’André Robèr par François Huglo

Les Parutions

19 déc.
2021

Mi di minm d’André Robèr par François Huglo

  • Partager sur Facebook
Mi di minm d’André Robèr

 

 

             André Robèr avec Ponge ! Il fallait un Blaine pour le voir et pour le faire lire. Et dire qu’aucun de ses amis « exégètes avérés de Francis » n’avait « établi le rapprochement » entre le sexe féminin et « La Figue, La Mouline et L’Huître » ! Mais « tandis que Francis Ponge reste dans la littérature, l’excellente littérature (…), André Robèr lui montre, démontre la chose concrètement : prépuce du clitoris et lèvres internes, précisément ! ». Il « photographie » et « commente » le sexe féminin, « même si ce n’est pas tout à fait lui, mais son déguisement en fruit de mer, il l’assortit en quelque sorte… », en un chapitre VI intitulé en français « Ce que la nature nous offre » et en créole « La Pa Moin La Rodé (LPMR) ».

 

            Lire André Robèr par-dessus l’épaule de Julien Blaine qui le postface, avec toujours la possibilité de lui répondre, d’extrapoler, d’échanger, est une grande chance, à saisir « entre deux enterrements », dit André. Julien énumère : Jacques Lizène, « Inventeur de l’art nul, Petit maître liégeois de la seconde moitié du XXe siècle », Pierre Pinoncelli qui « mit en joue » et « ensanglanta » Malraux « en 1969 avec un pistolet à peinture lors de l’inauguration du musée Chagall de Nice », Philippe Castellin « corailleur » et « plongeur professionnel, un capitaine de pêche », Manuel Joseph qui « navigue entre P.O.L et Al Dante en butinant de temps en temps dans des revues plus ou moins éphémères ».

 

            La poésie visuelle consiste-t-elle « à juxtaposer des images avec des mots, à triturer des images, à entendre des formes tissées par nos imaginaires ou subitement extirpées d’une chaîne de lettres ou d’un contraste graphique » ? Cette question posée à l’orée du #9 de nuire, revue de la biennale internationale de poésie visuelle d’Isle sur Tet, créée par André Robèr, trouve sa réponse un peu plus loin : il s’agit d’une « forme de pensée collage, qui a ses racines dans une ancestrale capacité de l’humain à associer, à dissocier, à façonner ». Ainsi, le chapitre I de Mi di minm rend hommage à Joan Brossa par la silhouette de profil d’un homme qui s’appuie « sur la lettre originelle de la Réunion, le K ». Face au sexe de cette silhouette, la lettre s’enfle d’un sein qui saigne. Sont condensés dans un éclair visuel désir, terre nourricière et souffrance. Le K peut aussi servir au poète de porte-chapeau. « C’est très joyeux ! », disait André à Julien en lui présentant son chapitre II : sous le titre « extase graphique mars 2021 », un texte en créole offert à « une lecture compactée au carré, cubique ! ». André traduit : « Un peu juste un peu là tout contre le bord de la route si celle-ci peut être pour nous / En plus le soleil nous fait défaut / Quelques fois le rêve est dominant / Accostage en solitaire / Juste un éclair de vie pour croire que cela est possible / Juste un espace de temps où l’on pourra survivre ».

 

            Les rythmes de verticales et d’horizontales, de noirs et de blancs, de bandes imprimées ou non, du chapitre III, « suite graphique sur une carte de l’île de la Réunion dégradée », intitulée « La rénion a minima 2021 », peuvent rappeler ceux d’affiches découpées, recomposées, puis maculées par Julien Blaine, qui dit de ces pages : « Déjà on sort du livre pour les imaginer se poser sur des cimaises, là, on les admire en grand ». Le chapitre IV, « Pour Joseph Beuys 2021 », pour son centenaire, projette « l’artiste en manteau démantelé » sur un fond « rigoureusement et précisément lettré », à la manière des incrustations de Jean-Christophe Averty, que rappellent aussi les images de girafes et de lions découpées et projetées sur le manteau, ainsi « remmantelé ». Le V, « Vavanguèz 2021 », répond au vœu « Que la parole se conjugue avec la vie » en conjuguant les surfaces manuscrites, imprimées, avec celles de corps, de visages, de liquides scintillants et mouvants : danse vouée, selon Robèr, à « l’élégance » et à « la beauté ». Le VII, « Mi di minm », est sous-titré « Ce n’est que du langage » et « Sa rienk fonnkèr pou lo zié ». Blaine traduit : « C’est simplement pour les yeux mais du fond du cœur ».

 

            Ce n’est que du langage : qu’on lise page après page ou regarde les tableaux un par un, ces deux possibilités « ne sont pas incompatibles ». Aux « peaux noires masques blancs » de Frantz Fanon répond l’as de cœur qui ouvre la  postface de Julien Blaine : « Cœurs noirs défenses blanches ». Car aucune peau n’est vraiment noire ou vraiment blanche. Les jeux et rythmes du noir sur blanc, du blanc sur noir, sont inventions de l’écriture, du dessin, de la peinture, de la photo, des collages et incrustations d’André Robèr. S’y déplace le cœur solitaire d’une universalité non monothéiste mais animiste et animale : un « Dieu éléphant métaphorique mythologique politique ». Survivant —sur-vivant— « juste un espace de temps ». Résistant.

 

Retour à la liste des Parutions de sitaudis