Vide-Grenier de Typhaine Garnier par François Huglo

Les Parutions

14 déc.
2023

Vide-Grenier de Typhaine Garnier par François Huglo

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Vide-Grenier de Typhaine Garnier

 

 

Dessins d’Onuma Nemon

 

 

            « Piétinez mes vieilles terrines ». Si quelqu’un a bien entendu l’imprécation d’Arthur, c’est Typhaine Garnier, dont les Massacres dansaient (« Hop donc ! ») sur des tessons de poèmes fétichisés par l’école. Elle s’attaque aujourd’hui aux fétiches qui s’attachent « à notre âme » comme les « fouffes douloureuses » aux « tétons laids », Rimbaud visant autant la poésie lamartinienne que les « petites amoureuses », et le « sentiment » qui macère dans ses « terrines » amollissant autant les pauvres « objets inanimés » que les « pleurs » d’Alphonse son « Crucifix ». Typhaine Garnier les déniaise, les décape de toute patine nostalgique, les sauve de la putréfaction dans l’intime. Tout attendrissement serait accroupissement.

 

            Braderies et vide-greniers répondent au productivisme par le recyclage, transforment les rebuts en trouvailles. La valeur d’usage survit à la valeur d’échange presque effondrée. Typhaine (recycle-t-elle son patronyme ?) donne une nouvelle chance, un nouvel usage, langagier, à ses fonds de mémoire. C’est libéré des moiteurs du moi que l’objet se souvient le mieux. Extrait « à l’opinel » d’un houx « avec amour et soins extrêmes », et peaufiné « à la faveur des pauses casse-dalle », le bâton rameute les « composantes pérennes et fluctuantes » du pique-nique, l’ouverture du sac à dos, les « jappements du Patou », le « bisou aux barbies ». Ainsi nettoyé, rendu à sa pongienne dignité, « de l’authentique pas en série », l’objet qui se souvient d’objets « vous enterre ». Auparavant, on s’en méfiera comme du diable. On conjurera le golem à réminiscences, « on les aura jetées les vieilles idoles dans les abysses du buffet puis à perpète bannies en cartons à NE PAS OUVRIR sous peine de jaillissement tachycardique de l’enfance à ressort ».

 

            Parmi les fétiches, les « vieilles idoles », le « plus grand poète de sa génération » (à chacun le sien) occupe une bonne place, avec visite obligée au lieu qui le momifie de son vivant : son « ci-vit », le « biotope studieux » de ce « Saint Jérôme ». Aucune dédicace à espérer, ce serait « trop tarte ». Il faut l’écrire soi-même, « la meilleure de l’année sera promue tampon et vendue à la boutique ». Quand le Maître est là et « pousse Lui-Même la porte » de son « antre », « refuge de la création » et « cabane-brocante », après un « échange décontracté plus ou moins stimulant sur les thèses récentes en cours et à venir approchant Son Œuvre », il « vous pousse dehors car ça commence à faire soif non ? »

 

            La référence au poème de Rimbaud est présente en de « petits amoureux » entre « pyjama sur balançoire » et « glycine sous la fenêtre », peut-être aussi en des « sujets peints à la main » pour désennuyer Blanche Neige : « Antonin le jardinier joufflu main en poche et arrosoir bien placé, l’hilare irrésistible à bonnet priape, le rubicond bandonéiste, les chafoins à deux dans une botte ou carrément califourchon sur hérisson : propices aux suggestions coquines en introduction de chatouilles sous galante feuillée ou poutres enfumées de combles en laine de verre qui gratte ». Quant au « coffret "petites amoureuses" », ses « onze compartiments déjà étiquetés » contiennent les « lettres de l’attente gourmande », des « banalités augmentées », du « comble de l’excitation », jusqu’à celles « de la rupture inéluctable » et des « réparations provisoires ». Aussi férocement que chez Rimbaud, à l’ « élévation en cage » de l’ « ascenseur émotif » succèdent la « dégringolade expresse direct au local -1 des instincts orduriers » et le « terminus hagard au -2 la gueule en bois de honte » (Exit Lamartine : « Le Temps a beau suspendre son vol ça caille »). Même férocité contre les « bourgeois des deux sexes » sur le parvis après la messe, « en route pour le poulet », contre les « idées domestiques », leurs « trésors d’ingéniosité pour circonvenir les dégâts tout en vous gardant absolument d’y remédier », contre la « prothèse à ouï-dire » et sa « batterie intégrée avec accumulateur de ragots », contre les enterrements où, « après grincements rouillés crissements gravier grises mines de pierre cris en têtes des mis en terre crises d’éternuements dans la minute réglementaire, verts vers verres », on « tartine les bons côtés du tonton on est contents à dans un an ». Et revoilà, mode humour noir, le Maître et ses fétiches : « le pyjama pilou qu’il portait encore ce fainéant le jour de sa mort, les chaussons mous du poète, sa housse de couette préférée, un petit crâne en papier mâché recouvert de pages de Chant sot son dernier opus ». Cela se passe à  « Plurien (Côtes d’Armor) », alors qu’à « Hébécrevon (Manche) » un « family-composteur » offre une « alternative écorigolote aux pratiques traditionnelles ». 

 

            Les toponymes, si savoureux qu’ils semblent inventés (aucun ne l’est) répondent à l’injonction « pas d’objet sans lieu ni vice versa ». Citons encore : Paimpont (Ille-et-Vilaine), Mantallot (Côtes d’Armor), Chamouiile (Aisne), Le Poët-Célard (Drôme),Noeux-les Mines (Pas-de-Calais), Biscarosse (Landes).  Des vers en italiques alternent avec les proses, comme chez Christian Prigent et comme des airs avec des récitatifs. Sous chaque mot de l’ « index verborum », ce sont encore des vers. Bien des pages, dont celles qu’occupent les dessins d’Onuma Nemon, entre effondrements et abstractions, semblent sorties de TXT ou prêtes à y entrer. Almanach et pages rosses continuent, en un « Album des grands jours ». Individuellement et collectivement (comment distinguer ?), Typhaine, dans le plus grand luXe leXical, Travaille !

 

 

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